Epilogue – #25 – 2013
Nous rentrons sur Las Vegas dans la soirée, avec un peu de retard.
L’atmosphère est toujours aussi électrique ici.
Je me mange un morceau dans le premier fast food que je croise, puis je m’installe dans la partie salon de l’hostel, où je vais patienter jusqu’à 3h du matin. Je découvre un peu mieux la petite équipe qui tient l’auberge, qui est assez délirante, et qui accueille des gens très différents.
Des grands geeks/weirdos avec une touffe de cheveux pas coiffés improbable, la fille grande gueule et sexy que l’on croise partout, les backpackers justes de passage, et enfin le responsable super cool, avec un t-shirt noir près du corps et du gel dans les cheveux pour faire oublier qu’il a 35 ans. En fait c’est un bon condensé de Vegas !
Je découvre qu’ils proposent un service de taxi pour une poignée de dollars, j’en réserve ainsi un pour 2h30 pour m’amener à la gare routière. Les heures passent, les gens se font de plus en plus rares. La grande télévision me tient éveillée. Au bout de 3 films (dont Boyz N the Hood), le front desk ferme. Il est 2h du matin, je vais attendre la dernière demie heure dehors.
Le calme précaire de la nuit est toujours aussi faussement rassurant.
Mon carrosse arrive à l’heure. Le chauffeur est en fait un touriste qui fait de l’HelpX pour l’hostel. Il travail quelques heures par jour, et cette fois c’était lui de corvée de taxi !
Il a un accent français à couper au couteau, à peine plus propre que le mien, c’est dire. Rien de plus normal, puisque c’est un belge francophone. Il a suivi sa copine, et lui profite de ces quelques mois aux US pour améliorer son anglais. Mais du coup il ne me parlait qu’en anglais. Or que généralement dès que l’on rencontre un francophone, 99,9 % du temps on bascule en français.
Mais là non.
Ca me faisait un peu sourire au départ mais ok, c’est parti. Nous voici alors à nous raconter nos petites vies d’européens en utilisant la langue de Shakespeare, en déambulant sur le Strip de Las Vegas, durant les heures les plus curieuses de la journée, dans une frontière floue entre soir et matin.
Mon chauffeur me dépose au dépôt Greyhound, et je découvre sa minuscule salle d’attente. Une dizaine de personnes se la partagent, dont plusieurs en position horizontale, ou quasiment horizontale, dans un sommeil profond. A 3h du matin, il est vrai qu’il devient compliqué de rester éveillé. Ces 30 minutes pour attendre d’embarquer et de pouvoir enfin m’avachir dans le bus m’ont paru une éternité.
C’est parti pour mon dernier trajet insane en bus.
Un jour et demi pour boucler les 2 500 km qui me séparent de Vancouver.
Au Canada cela prendrait 4 jours de couvrir une si grande distance, aux Etats-Unis Greyhound a eu la bonne idée de créer des lignes express. Je ne vais traverser ainsi que 4 villes avant Vancouver : Los Angeles, Sacramento, Portland et Seattle.
Je me sens assez comme dans un cartoon, à avoir parcouru toutes ces villes avec un élastique au pied, et maintenant l’élastique va me ramener avec vitesse et fracas à mon point de départ. Comme une lame graduée d’un mètre qui reprend sa position initiale et s’enroule dans son boîtier en plastique.
Pour autant, le trajet me parut bien long. En effet, malgré ma fatigue immense due à l’accumulation de courtes nuits, je ne trouve pas vraiment le sommeil. Alors je gamberge. Je commence à réaliser que les US, c’est vraiment fini. C’est d’autant plus dur que chaque ville que l’on croise me fait remonter des souvenirs.
Mais dans le même temps j’ai aussi plaisir à rentrer au Canada. Mon pays durant 12 mois, avec lequel je me sens évidemment un peu comme à la maison. Il en découle une profonde affection, et le mauvais traitement que m’a réservé la douane n’y a rien changé !
Le sketch.
Mais vraiment.
Nous arrivons à la frontière le lundi 26 autour de 17h30.
Comateux comme jamais, pour les raisons que j’ai expliqué plus haut. J’arrive à la douane canadienne la fleur au fusil, avec un plaisir égal à celui que l’on peut éprouver lorsque l’on rentre chez soi. Mais je me fais cueillir à froid par une douanière des plus butées.
Ma dégaine de backpacker + mes yeux rouges (de fatigue) n’ont fait qu’un tour dans sa tête : ce type est sous l’emprise de stupéfiants. A partir de là j’ai pris un ticket pour Space Mountain sans le savoir.
Je nie, mais elle insiste, et me précise que ce n’est pas grave, car vu que je suis en autobus, je ne conduis pas et ne met donc la vie de personne en danger. Oui mais madame…je n’ai pas fumé ! Elle me dirige alors vers une table quelques mètres plus loin, et elle essaye par tous les moyens de m’intimider. J’aurais ainsi tous les signes, à savoir les yeux rouges, des petits tremblements, aussi bien au niveau de la paupière que des autres muscles, et mes propos n’auraient aucun sens.
Je ne doutais pas de la véracité de ces manifestations, car pour tout le côté physique je me sentais vraiment faible, mon corps était vraiment à bout. Du coup ça se répercute grandement sur mon discours, car parler anglais lorsque votre cerveau est en mode veille prolongée ce n’est pas l’idéal. Mais du moment où j’ai compris que cela commençait à être sérieux, je me suis efforcé à redevenir focus.
Je lui explique donc calmement que je suis juste très fatigué après un si grand voyage, mais elle, avec son visage fermé et autoritaire ne me crois pas un seul instant : « moi j’ai de l’expérience, je sais reconnaitre quelqu’un qui a pris de la drogue ».
Cette partie de ping-pong dure, et dure. Mes joues lâchent très souvent des grands sourires « mais sérieux wtf ? », seul rempart contre un fou rire. Je sais pleinement que cela joue en ma défaveur, car mon état gaie confirme pour la douanière que j’ai pris du cannabis, mais la situation est tellement grotesque qu’il m’est impossible de refréner ces sourires. J’ai trop l’impression de me trouver dans une caméra caché.
Le ton commence à monter, j’en arrive à lui proposer de prendre un échantillon de mon sang pour lui prouver ma bonne foi, mais c’est peine perdue. J’avais un mur en face de moi, ou un représentant syndical si cela vous parle plus. Elle met en pratique sa menace de fouiller de fond en comble mes sacs, et elle prend un plaisir sadique à les vider sur la table.
Elle ne trouvera bien entendu rien, et cela la met encore un peu plus en furie.
« Vous aimez voyager monsieur ? Ici on vous accueil gentiment. Il faut respecter les règles des pays où vous vous trouvez sinon ça pourra mal se terminer. Ici ou ailleurs ».
Pour finir, avant de me laisser, on se retrouve à 50 cm l’un de l’autre, et elle continue à me prendre pour le dernier des salauds. Je lui réponds à chacune de ses phrases, mais à partir d’un moment je sens que si je continue, je vais passer la nuit au poste. Je me mords intensément la lèvre pour ne pas ouvrir ma bouche pour lui laisser le dernier mot, et ainsi sa fierté. Je n’aurais pas eu d’avion à prendre 2 jours plus tard j’aurais sans hésitation continué la bataille pour aller le plus loin possible et lui prouver son erreur. Car autant au départ c’est comique, autant à la fin, tomber sur une personne qui réfute votre parole aussi arbitrairement c’est très irritant.
La scène doit durer une dizaine de minutes. J’en passe cinq supplémentaire à refaire mes sacs à dos. Je passe enfin la douane et remonte dans le bus, où je me fais fusiller du regard par les passagers durant que je rejoins ma place. Car eux m’attendent depuis 20 minutes…
J’oublie cela rapidement, retrouver Vancouver est un tel bonheur.
Je suis vraiment rentré à la maison dans ma tête. Je passe mes deux derniers jours dans le downtown au Cambie Hostel Gastown. Un des plus cheap, tout en étant situé dans un quartier historique super sympa de la ville, et l’ambiance y est toujours assez cool.
Après une nuit (complète !!!) très réparatrice, je m’occupe des dernières tâches qui me restent : récupérer ma valise chez Mary et fermer mon compte bancaire canadien.
Mardi 27 aout, me voici libre comme l’air.
Je flâne dans mes rues fétiches de Vancouver, avec beaucoup de nostalgie tout en essayant de concevoir que demain je vais quitter cette ville. Ce pays. Ce continent.
La raison l’a assimilé, mais pour l’esprit c’est beaucoup trop abstrait.
Le dernier soir, je rencontre un français dans ma chambre.
Début de trentaine, il a traversé quasiment le monde entier avec un sac à dos. Je le jalouse beaucoup, et on passe la soirée à parler voyage.
Le matin du 28, le soleil inonde de lumière les rues. Des rayons si vifs et denses que seul le matin peut nous offrir, et qui vous réchauffe le cœur et l’âme. Comme un dimanche matin ensoleillé où on a trouvé la motivation de se rendre dans une boulangerie.
Je prends mon petit déjeuner dans le coffee shop qui se trouve à côté de l’hostel.
Une des cashiers est française. Je me revois à sa place, et je me dis que la roue tourne. Je sors ensuite dehors, avec mon café à la main, à l’américaine.
J’ouvre grand mes yeux, en essayant de capturer tout ce qui m’entoure.
Au revoir à ce style de vie.
A ces coffee shops par centaines, à ces habitants qui sa baladent boissons à la main.
Adieu à ces buildings.
Adieu à ces voitures.
Adieu à cette langue.
Je ne réalise pas que je rentre en France ce soir, mais je réalise que je quitte le Canada et sa culture dans quelques heures. Ce n’est pas l’enfer à vivre, mais pour sûr cela déboussole énormément. La conscience se dirige vers l’aéroport durant que votre instinct freine des quatre fers.
L’avion décolle, l’excitation de bientôt retrouver son pays se mélange aux remords de quitter sa patrie d’adoption.
A la place de détailler mon retour (peut être une prochaine fois), je trouve plus intéressant d’insérer ici un message que j’ai écrit quelques jours après mon atterrissage en France, encore assez à vif :
« Je m’attendais à un petit choc, mais pas à ce point.
Déjà, rien que dans la salle d’attente de l’aéroport, je me sentais mal, entouré par tant de francophones Entouré de familles et de conversations stériles.
Ca fait encore élitiste à deux balles, mais c’est ce que j’ai ressenti.
Avec ma main sur le visage, à l’écoute de conversations au ras les pâquerettes. Ca doit être la même chose au Canada, mais vu qu’il y a l’enjeu de la langue, c’est plus un plaisir d’arriver à comprendre les conversations des gens, même les plus banales.
Atterrissage en France, j’aperçois une vieille twingo blanche air france sur le tarmac.
Bon ba cette fois il n’y a plus aucun doute, je suis bien de retour !
Un plaisir de retrouver sa famille, mais très vite une sensation de vide, de mal être. Allez au restaurant et avoir un menu en français. Avoir un serveur qui vous parle également dans la langue de Molière. C’est con mais ça change tellement de votre ancien quotidien que ça vous choque un peu au départ.
Les feux pour piétons qui vous paraissent d’un ridicule avec leurs petits bonhommes. Et ce vert et ce rouge si…frenchy ! Marcher dans la rue, être dans une file d’attente, et entendre tout ce petit monde parler français, tout ce petit monde que l’on retrouve et qui n’a pas changé en 14 mois.
Je me sens tellement loin dans ma tête. Un peu comme sortir dehors et regarder tout avec une loupe, avec un recul énorme. Un recul…d’un étranger, peut-être. Ca revient beaucoup dans les témoignages, mais je ne peux qu’acquiescer.
La réaction la plus épidermique que j’ai eu fut avec la télévision. Je la regardais déjà peu avant mon départ, et ça ne risque pas de changer, tellement c’est faux, hypocrite, d’une étroitesse d’esprit et d’un nivellement par le bas.
Des sourires de présentateurs toujours aussi faux. De la télé réalité partout. Et un Jean-Pierre Pernaut toujours égal à lui-même. Après un reportage sur les tubes de l’été : « et soulignons également que des chansons françaises ont aussi eu beaucoup de succès ! « . Mais…mais…pourquoi rajoutez ça ?
Les deux premiers jours furent tellement durs que je pensais de plus en plus sérieusement à rechercher du travail en Angleterre, pour vivre quelque chose d’autre. Le temps que mon futur voyage en Australie se concrétise.
Heureusement, plus les jours passent, plus ma réaction épidermique diminue. Je passe d’un sentiment de rejet à un sentiment d’indifférence sur tout ce que je n’apprécie pas. Mais franchement, ce premier jour, ce fut violent ! ».
Pour finir, je ne vais pas faire un long discours, j’en ai assez fait !
Juste le temps de préciser que ces 14 mois furent exceptionnels, ce fut une aventure riche, au-delà de mes espérances. Tant d’aventures, de rencontres. Elle a malheureusement un revers, et ma fidèle lectrice LN l’a parfaitement décrit :
« Le prix à payer pour avoir voulu goûter à l’extraordinaire, c’est que l’ordinaire paraît encore plus fadasse au retour… ».
J’avais envie de vivre avec un grand V, et j’ai atteint ce but.
Maintenant il m’est compliqué de reprendre un train-train classique. Je mange mon pain noir en ce moment, avant de me lancer dans une nouvelle aventure. J’ai plusieurs projets en tête et je les évoquerais ici très bientôt. De toute façon j’ai encore quelques vidéos à monter et à mettre en ligne !
J’ai commencé mon blog en musique, j’aimerais le refermer de la même façon.
L’aura de John Lennon m’a longtemps paru overrated, mais il faut dire que je ne suis pas un expert de la discographie des Beatles. Très récemment je suis tombé sur le titre « Across the Universe », et comme tout devient plus clair maintenant.
Quel lyrisme, quelle poésie ! J’aime ces paroles abstraites, où le rôle de chaque mot n’est pas d’avoir un sens mais juste de vous renvoyer une image. Celle que vous ressentez sur le moment.
« Pools of sorrow, waves of joy »
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