Little Death – #24 – 2013
« Some guys just can’t handle Vegas ».
Cette affiche du film The Hangover trône fièrement sur un des murs de l’hostel. Tout en illustrant très bien la folie ambiante que je peux ressentir, je perçois également que ce film fut une magnifique publicité pour cette auberge, et qu’elle essaye de surfer bien naturellement sur la vague.
De retour au front desk, je récupère les clés de ma chambre, tout en arrangeant quelques détails.
J’ai en effet confirmé ma réservation pour un tour vers le Grand Canyon le lendemain matin, samedi. Départ à 6h pour un retour à 21h. Puis le dimanche je prends le bus Greyhound de 3h30, direction Vancouver. Les gens de l’hostel ont été assez cool pour annuler ma nuit du samedi soir, car je n’ai réalisé qu’après coup que vu l’horaire de mon bus, je ne vais pas vraiment l’utiliser…
Pour donner un peu l’ambiance du quartier, le front desk n’est accessible que par une porte blindée qui ne s’ouvre que par un digicode. Pour accéder aux chambres, il faut sortir de ce bâtiment, et se diriger quelques pas plus loin devant deux imposantes portes en métal, identique à une entrée de prison. Et je ne pensais pas avoir visé aussi juste.
Une fois l’entrée passée, je me crois réellement dans un pénitencier, ambiance les Daltons.
Une cour centrale d’une soixantaine de mètres, d’un terrain jauni désertique : terre asséchée et sable. L’enceinte carré est protégée par un haut mur blanc, et tout le long de ce mur se trouve des petits baraquements, une bonne quinzaine.
Quelques personnes zonent autour des bâtiments, d’un air perdu, et font vraiment penser à des prisonniers en sortie. Bref, l’atmosphère ne donne vraiment pas envie ! En entrant dans mon baraquement à la devanture usée, je ne savais pas du tout sur quoi j’allais tomber. A mon grand soulagement, je tombe sur un petit dortoir des plus classiques et bien rénové. Tout le budget a dû passer pour l’intérieur !
La chambre est vide, seule la climatisation vient briser le silence. J’en profite pour prendre une douche, et pour réaliser pleinement que j’ai quitté la Californie. En effet sur un des murs de la salle de bain, un message nous informe qu’il faut faire attention à sa consommation d’eau, aussi bien à la douche que pour les wc. Qu’ici nous sommes au Nevada, et que l’eau, c’est de l’or !
Etant fauché, je n’avais pas prévu de visiter Las Vegas. Cela me paraissait un peu absurde. Je n’étais venu ici que pour effectuer une visite du Grand Canyon. Avant de me laisser aller à une sieste, car je suis épuisé, j’ai quand même quelques remords de ne pas y jeter un coup d’œil. Surtout que c’est ce soir ou jamais. Ainsi avant de m’endormir, je programme un réveil pour 19h.
Vu comment je me suis écroulé sur mon oreiller, j’ai bien fait d’en programmer un…
Je sors dehors, la nuit commence doucement à tomber. Pourtant la température est toujours aussi intenable. On a beau s’éloigner des 40°, le mercure est toujours assez élevé pour que vous soyez en nage après cinq minutes de marche.
L’hostel est sur Las Vegas Strip, mais il semble encore très éloigné de sa partie festive et de ses grands casinos. Pour autant je n’ai toujours pas envie de dépenser mon argent en prenant le Deuce bus. Je descendrais donc la rue à pied, quitte à y perdre beaucoup de temps. Et pour marcher, je vais marcher…
Rien de moins qu’une heure au total ! Sans trop m’en rendre compte. L’auberge est en fait séparée de 4 km du « Strip festif ». C’est d’autant plus traitre que la rue est une ligne droite, donc les distances ne paraissent pas spécialement grandes. Mon guide qui affirmait que les distances à Las Vegas étaient trompeuses avait tellement juste.
A la nuit tombée, la rue ressemble assez à un coupe-gorge.
J’y croise les mêmes choses qu’autour de mon hostel (sexshops, tatoueurs, souvenirs, strip bars miteux), et quelques fois des grands motels ainsi que des grands terrains vagues. C’est assez désert, sombre et mal fréquenté. J’opte donc pour une marche en conséquence : rapide, mais pas trop non plus pour ne pas avoir l’air de fuir.
J’atteins rapidement la tour Stratosphere Las Vegas qui abrite un hôtel-casino.
Ses 350 mètres sont visibles de loin, ce qui en fait un bâtiment bien pratique pour se repérer. On peut y trouver un peu avant le célèbre panneau « Welcome to Fabulous Las Vegas ». On touche au mythe de la ville !
Après 30 minutes de marche, je commence à ne plus être seul à faire le trajet à pied vers le Strip. Des groupes de touristes ont eux aussi apparemment besoin de faire des économies. C’est tout de suite plus rassurant, mais c’est ironiquement à partir de là où des mecs bourrés/relous ont commencé à arriver, et à emmerder des gens. J’ai eu la chance de ne pas les intéresser.
Nous croisons des grands hôtels, mais ils sont toujours isolés, ce n’est toujours pas le début « du » Strip.
Je ne suis pas le seul à devenir impatient et à se demander où se cache ce foutu Strip que l’on voit à la télévision ! Il faut attendre de passer à côté du gigantesque hôtel-casino Encore pour pouvoir distinguer au loin une suite de grands bâtiments avec beaucoup de lumière. Sin City est enfin à portée de vue.
Las Vegas Strip devient alors enfin moins inquiétant.
C’est un peu comme sortir d’un tunnel. L’éclairage devient intense, le trottoir est parsemé de petites décorations florales, et la route se remplit de palmiers. La rue commence pleinement à vivre avec un flot important de touristes qui arrivent en masse. Cela rend d’ailleurs l’ambiance assez étrange, et vraiment unique.
Tous réunis, dans la nuit noire.
Cette nuit excessivement chaude qui vous éloigne ainsi de vos repères. Il n’est pas normal de subir une telle chaleur une fois le soleil couché. Il n’est pas normal de croiser autant de gens qui se dirigent tous vers la même direction. Il y a un côté animal, à l’image de gnous qui rejoignent une source d’eau. Sauf qu’ici le point de ralliement c’est une source de lumière.
Mais il y a également un petit côté mystique. Tous ces corps qui s’agglutinent sur un même trottoir, se dirigeant tout droit, vers le même chemin. Ces corps vaguement éclairés par des halos jaune orangé, formant une longue colonne, à la fois fébriles et excités, comme une file d’âmes se dirigeant vers la lumière divine. Sauf qu’ici, dans cette fournaise, nous ne faisons pas la queue devant les portes du paradis, mais plutôt celles des limbes.
C’est peut-être un peu facile, mais sur place la symbolique saute assez aux yeux.
A chaque rue qui croise le Strip, dorénavant il faut emprunter un système de passerelles surélevées. Vous ne franchissez plus la route. Je passe ainsi au-dessus de Spring Mountain Road, et là ça y’est, plus de doute possible, je suis dans le Strip. Au pied de l’hôtel-casino Treasure Island, rien de moins qu’un immense plan d’eau, où se déroule une comédie musicale. Les comédiens prenant place sur deux immenses bateaux de pirates, pour un spectacle démesuré, où se mêle flammes, canons et chants.
Tout cela gratuitement, vous n’avez qu’à vous trouver une place sur le trottoir parmi la centaine de curieux qui admirent le show. Le spectacle est très cliché et ne m’intéresse pas vraiment, pour autant il suffit à me mettre de bonne humeur, et à ne pas regretter d’avoir décidé de sortir.
Je continue mon chemin, à la lumière des éclairages des casinos, ainsi que de leurs écrans XXL.
C’est vraiment quelque chose. De loin, une joyeuse ambiance Disneyland. Cependant certains signes vous rappellent vite que c’est un parc d’attraction pour adultes. Dans la ville du péché, la fée clochette n’en a que faire de Peter Pan, et vous vend ses charmes, sans se cacher. Sur le trottoir, des gars distribuent des flyers avec des numéros de call girl. Vous trouverez le même type de publicités sur des voitures, mais le plus glauque reste quand même leur présence sous la glace de distributeurs type journaux.
Avec cette prostitution à peine voilée, les jeux d’argents à toutes les portes et cette chaleur du diable, vous évoluez dans une immense fièvre collective. Tout n’est pas ambiance -18, et les enfants ne calculeront surement pas tout, pour autant je m’étonne de la présence de familles, car ce n’est pas vraiment l’endroit où moi j’amènerais mes gosses.
Les casinos sont de plus en plus ouf, un offrant une reconstitution de Venise.
Les noms deviennent connus, comme le Caesars Palace et son immense affiche de Céline Dion, le Flamingo, avec sa devanture couleur flamant rose. Au bout de la rue, j’aperçois la silhouette de la Tour Eiffel. La scène est surréaliste.
Je quitte ensuite le trottoir pour rentrer dans un passage qui m’amène au Bellagio.
Il faut savoir que la majorité des casinos sont reliés entre eux, vous n’avez même pas besoin de mettre le nez dehors. Dans ces couloirs, je croise encore une fois de tout, autant des touristes avec un appareil photo en bandoulière que des gens tirés à quatre épingles. Je ne m’attarde pas trop dans la salle de jeu car bon, seul et sans argent, ce n’est pas ce qu’il y a de plus fun.
Je sors plutôt dehors, pour me placer devant les fontaines du Bellagio, où un spectacle de jet d’eau se déroule. Je rate la représentation, mais elle a lieu tous les quarts d’heure. La foule se retire, parfait, je peux me placer où je veux. Le bassin doit être de la taille d’une piscine olympique. Une fois que le show commence, un ballet de jets d’eau se met en place. Les moments de grâce se mêlent aux instants dynamiques, en mode feu d’artifice aquatique. C’est vraiment classe et très impressionnant. Absolument à ne pas rater !
Après ce spectacle qui m’a réellement enchanté, je prends le chemin du retour.
J’ai dû arriver qu’à la moitié du Strip, mais je ne me sentais pas continuer plus loin. Marcher avec cette chaleur est un supplice, et je dois encore me taper une heure de trajet pour revenir à l’hostel…
Cette petite sortie m’aura réconcilié avec Vegas.
Sans avoir d’avis tranché au préalable, mon apriori était évidemment plutôt négatif. Oui, cette ville est artificielle, démesurée et souvent de mauvais goût. Pour autant au milieu de cet océan de dollars, tout n’est pas à jeter, et il y a de quoi s’émerveiller et passer du bon temps. De nombreux spectacles et attractions valent vraiment le coup. En outre, la folle atmosphère d’excès du Strip est unique en son genre, et comme toute chose unique, elle mérite d’être vécue au moins une fois.
Le lendemain matin, autre ambiance.
De nouveau un réveil aux aurores, pour me trouver à 6h devant l’auberge à attendre mon bus, dans une rue vide, ou presque. Quelques sdf y trainent déjà, durant que quelques rares fêtards rentrent encore de soirée. Une fourgonnette passe me prendre, et s’arrête ensuite à plusieurs hôtels pour embarquer d’autres passagers.
A la périphérie sud de Las Vegas, nous sommes transférés dans un autocar standard.
J’embarque pour mon Grand Canyon tour à $100, le moins cher. 460 km au programme, la moitié sur autoroute. J’aurais préféré que l’on file tout droit sans s’arrêter, mais 2 arrêts étaient prévus.
Le premier à quelques kilomètres de Las Vegas, à proximité de Boulder City.
Nous faisons un stop au barrage Hoover, inauguré en 1935. Situé sur le fleuve Colorado, il aura fallu 7 millions de tonnes de béton pour le maitriser. La centrale électrique est toujours en service. La construction est massive, mais il aurait été plus sympa de se trouver à son pied et non 500 mètres derrière.
Néanmoins j’ai apprécié la nature du lieu.
Un paysage montagneux à la roche rouge pourpre qui fait tellement western ! De plus, avec la présence de cet objet en béton au milieu de cette scène, cela m’évoque grandement l’environnement de Black Mesa dans le jeu Half-Life.
Plus largement, avec X-Files, Roswell et j’en passe, j’ai adoré et adore toujours ces décors très martiens, qui habitent en outre tellement de mythes, comme les fantasmes autour de la Zone 51. Mon imaginaire en a été beaucoup titillé, et c’est donc une fois de plus très grisant de fouler le sol d’un paysage que vous avez eu tellement en tête.
Le barrage Hoover est à la frontière entre le Nevada et l’Arizona. Avant de continuer notre chemin vers l’est, nous devons montrer patte blanche à la police. Puis nous reprenons la route 93, toujours dans un décor de western : poussière rouge et broussailles.
L’Arizona !
Quel kiffe encore.
Cinquième Etat traversé depuis le début de ce roadtrip !
Nous arrivons à proximité de la ville de Kingman, où notre petite route s’efface, nous obligeant à prendre l’Interstate 40. Mais avant cela, nouvel arrêt, pour visiter cette fois la mythique route 66. En effet cette dernière est déclassée depuis 1985, dû au développement des Interstates qui la rendent obsolète. Mais elle est toujours praticable. Il n’y a plus guère que les touristes qui la fréquentent. Les anciens commerces routiers qui la parcouraient sont aujourd’hui majoritairement laissés à l’abandon. Quelques-uns ont commencé une nouvelle vie, en se transformant en magasins de souvenirs. C’est précisément où le car nous emmène.
Les vielles photos et les épaves de voitures sont sympas à voir, après cela reste un gros attrape-touriste hein ! C’est surement plus cool à parcourir en van que de s’arrêter dans ces magasins. Car traverser une route désaffectée n’est pas inintéressant. Au-delà de la légende, il y a un côté fin du monde, amplifié par les alentours désertiques. Un côté Mad Max en fait.
Nous reprenons la route et il est déjà l’heure du midi, nous avons droit à nos plateaux repas.
Il commence à pleuvoir un peu. Le ciel se couvre, ce n’est pas génial. J’aimerais voir le Grand Canyon avec un beau ciel bleu perçant mais on ne choisit pas.
On ne choisit pas non plus son placement dans un car.
Je me retrouve ainsi à tenir la chandelle entre un couple américain à ma gauche, et leur fille d’une vingtaine d’années à ma droite. C’était ainsi très awkward au départ, car je suis l’intrus dont on se serait bien passé, ce que je comprends parfaitement. Ce n’était pas non plus génial d’avoir le père à côté et sa fille de l’autre, ça faisait vraiment plan foireux où je n’avais pas intérêt à créer de malentendu avec sa princesse… Ils sont afro américains, ce qui rajoute encore un peu plus de piment à la scène. « Toi l’homme blanc attention où tu poses tes mains ! ». Heureusement il n’était pas de ce genre-là, et c’est resté une relation bon enfant, où le père de famille n’hésitait pas à me taquiner sur mon origine française, bien qu’un peu beauf.
Sur l’Interstate 40, l’autocar cavale à grande vitesse.
2h plus tard, nous quittons cette voie rapide pour prendre la direction du nord. Une dernière ligne droite de 100 km, et nous arrivons enfin à destination, au Grand Canyon Village. Un peu dans le même style que celui de Yosemite, à la différence que les bâtiments se trouvent à quelques mètres du vide du canyon.
Milieu d’après-midi, nous avons quartier libre pour 2h avant de repartir.
Pas le temps de faire grand-chose évidemment, mais pour ma part c’était ça ou rien. Le temps est encore un peu couvert mais il ne pleut plus, c’est déjà ça. Et je dois bien dire que cela n’a plus beaucoup d’importance une fois au bord du gouffre. Ces gros nuages sont embêtants, mais la grandeur du lieu suffit à vous scotcher. Le genre d’endroit où l’on a juste envie de prendre des photos en rafales en sautillant comme un idiot sur 360°.
Les dénivelés, la profondeur et la grandeur du canyon sont plus qu’impressionnant.
On a du mal à croire que l’aspect de cette roche, transpercée de toute part et défigurée, soit le travail de l’eau. Au bord du précipice, le Rim Trail est le chemin qui longe la South Rim. Seulement où aller, à gauche ou à droite ? Un Ranger me dirigera vers l’est.
Je me lance alors à pas forcés sur ce sentier, pour en fouler un maximum avant de devoir repartir.
La vue sur le Grand Canyon changera peu, mais plus on avance, plus les points de vue deviennent intéressants, avec des renforcements rocheux qui vous permettent de vous rapprocher au plus près du canyon. On s’y arrête, pour plonger son regard vers le vide abyssal, puis en relevant la tête nous bénéficions d’un panorama grandiose.
Le Grand Canyon merde.
J’y suis arrivé.
C’est un sentiment très partagé.
Je me délecte de cette vue dont je rêvais depuis si longtemps. Et dans le même temps cela marque officiellement la fin de mon voyage. Je n’irais pas plus loin. J’aurais réussi à pousser jusqu’en Arizona.
Je ne ressens ni tristesse, ni mélancolie. Juste un sentiment de vide quelque part. Ma vie de routard s’arrête ici. C’est peut être ça le plus difficile. Avoir vécu 2 mois très très intenses, à bouger sans arrêt, à s’informer, se démerder, avoir toujours quelque chose en tête. Et aujourd’hui plus rien. J’ai atteint mon objectif, et j’ai réservé mes derniers jours d’hostel et mes derniers billets de bus depuis longtemps maintenant. Je n’ai plus à me soucier de rien, je n’ai plus qu’à me laisser porter.
Mais c’est quelque chose dont je n’ai plus l’habitude.
Ne plus se préoccuper de demain.
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