47 Miles More – #18 – 2013
Little Tokyo, Mikawaya Mochi Ice Cream, 5pm.
Bien bien, en route !
Je me rends ainsi dans le quartier japonais, plus précisément dans la rue piétonne Japanese Village Plaza Mall. Une vraie plongée dans l’univers du pays du soleil levant. Les commerces y sont évidemment tous japonais. L’architecture, les jardins ainsi que les monuments sentent bons le Japon.
L’excentricité de ce pays est aussi présente.
En effet, il n’est pas rare d’y croiser des personnes aux looks totalement barrés, que l’on dirait sortir d’un manga. Mais c’est surtout un endroit très kawaï, donc vous y croiserez beaucoup de couples y roucouler, asiatiques ou non.
J’ai le temps de remarquer tout cela car Leo est pris dans le trafic routier.
20 minutes plus tard, sa grande silhouette hispanique vient m’accoster. 1m80, bonnet hipster, lunette de soleil flashy, t-shirt blanc avec motifs très colorés. J’ai affaire à une vrai fashion victim ! Une impression renforcée du fait de ma propre situation. Moi en ce moment me faire beau se limite à avoir des vêtements propres sur le dos…
Après m’avoir offert un sorbet typique japonais au shop Mikawaya Mochi Ice Cream, on marche quelques blocks pour atteindre un Starbucks. Le fournisseur numéro un de free wifi, même pour les américains il faut croire !
Leo souhaite en effet me montrer directement quelques vidéos avec son laptop.
Pour la faire court, il est responsable marketing dans la boîte de son père, une petite PME qui conçoit des outils de soudure. Il a fait quelques vidéos dans le passé pour présenter quelques-uns de leurs outils, mais évidemment ce n’est pas vraiment terrible car fait avec des bouts de ficelles. J’ai donc plus ou moins carte blanche pour produire des vidéos plus professionnelles.
Nous sommes tous les deux assez « easy going », donc la discussion est variée et sympa.
On a vraiment l’air d’être sur la même longueur d’onde. Lui doit partir de Los Angeles dans 15 jours, moi je planifie d’y rester autant. L’objectif est donc de réaliser ce projet vidéo durant ce laps de temps, et bien sûr en parallèle de passer du bon temps. Et aussi de lui apprendre un peu de français en perspective d’un voyage à Paris ! On s’éclate bien, et il se montre très curieux et admiratif par rapport à mon style de voyage. Il fallait voir ses yeux lorsque je lui ai dit que je voyageais sans téléphone portable !
Seul petit problème, mon Leo habite dans une coloc à Anaheim, qui se trouve à 50 km au sud-est du downtown d’LA.
Il me sera donc difficile voire impossible de continuer à explorer cette ville que j’apprécie tant, car j’en serais bien trop éloigné. Je ne crache pour autant pas dans la soupe, car comme je l’ai déjà expliqué, je suis arrivé à bout de mes réserves, et c’est la seule solution que j’ai pour rester dans la région de Los Angeles encore quelques semaines.
Pour autant c’est aussi une bonne opportunité pour découvrir cette partie du grand LA.
Anaheim se trouve dans le comté d’Orange (le fameux Orange County !), ainsi pas mal de choses à y voir en perspective. Autant saisir cette chance, car je n’aurais pas la possibilité de m’y rendre autrement.
N’ayant qu’une nuit encore de booké, j’arrive à avancer le jour de mon squattage à…demain soir !
Ainsi le lendemain matin, je quitte mon auberge et son ambiance fofolle pour me rendre une dernière fois à mon QG en centre-ville.
En fin de matinée je reçois un email de Leo avec son adresse.
J’apprends aussi qu’il ne pourra pas venir me chercher, mais ça il me l’avait déjà fait entendre la veille. Avec l’énergie et l’inconscience que seul possède un routard au pied du mur, je fouille l’internet pour trouver les moyens de transport qui me rapprocheront le plus du logement de Leo.
Aussi fou que cela puisse paraitre, pour atteindre ces 50 km, j’aurais seulement à prendre 3 lignes de bus.
4 arrêts, 2 changements, plus de 3h de route estimée…je vais encore m’amuser. Ces 50 km se transforment au final en 76 km, la route que je vais prendre étant loin d’être directe…
N’étant pas du tout familier de la géographie locale, je me borde au maximum.
Je me borde comme jamais je ne me suis encore bordé. Je planifie tout. Je retranscris sur papier les lignes de bus, les rues avoisinantes, je dessine également à main levée des plans sommaires, etc…
Lorsque je relis mon plan d’attaque de 3 pages, je me dis que je ne vais jamais en sortir vivant tellement ça part dans tous les sens ! J’en viens à établir une légende, pour regrouper par genre chaque information et m’y retrouver un peu mieux. Malgré cela, je reste dubitatif sur l’utilité finale de ces pages, mais il faut bien se lancer.
C’est qu’il est déjà midi.
Il est encore tôt me dis-je. Mais vu les heures de routes qui m’attendent et les galères probables, j’ai finalement plutôt intérêt à partir au plus vite ! Je me dirige ainsi vers mon premier arrêt, entre Union Station et une bretelle d’autoroute. De là, je prends la Metro Silver Line, une ligne de bus qui traverse Los Angeles sur 42 km. A vos souhaits… A partir de mon arrêt, le chemin de cette ligne est assez simple, tout droit, plein sud.
Je m’étais vite habitué à ne plus me trimballer avec toutes mes affaires.
Quelle galère de jouer à l’aventurier au milieu de ce labyrinthe bétonné avec vos mouvements limités par des sacs. Et par une couette. Je la trimballe toujours, sais-ton jamais. Même si cela me fait passer pour un sdf pour pas mal de passagers !
Le bus descend tranquillement le downtown, puis file toujours plus vite vers le sud en empruntant la voie rapide Harbor Freeway 110. Un énorme tronçon d’autoroute, comme on en fait si bien ici. C’est toujours aussi surprenant d’emprunter une telle route à bord d’un simple bus « de ville ».
La certaine torpeur dans laquelle je me trouvais s’évanouit brusquement au moment où le bus emprunte une voie qui lui est réservée, et qui l’amène au beau milieu de la voie rapide, entre les deux sens de circulation. Nous roulons sur un brin de route, les bords protégés et bétonnés. Le bus accélère de plus belle. Los Angeles, wtf.
Tout ça n’est évidemment pas gratuit.
Cette voie réservée est là pour pouvoir assurer des arrêts le long de l’autoroute. Comme le premier qui approche, 37th Street Station. Sorte de long et fin blockhaus perdu au milieu d’une mer de béton. Comment des gens peuvent souhaiter s’arrêter ici ?
Petite phase de stress, où je lis chaque panneau, chaque indication, chaque mot qui se trouve en bord de route, pour être sûr de ne pas rater mon stop. Car ce n’est pas vraiment l’endroit où il fait bon se planter de chemin…
Nous dépassons 37th Street Station, puis Slauson Sation, et enfin j’aperçois le nom de mon arrêt, Manchester Station.
Je descends avec quelques personnes, qui m’abandonnent bien vite en prenant des chemins souterrains, qui amènent à des sorties au niveau du sol j’imagine. Je me retrouve seul, dans une « station » de bus vide, au centre d’une autoroute. Pas une trace de vie hormis le bourdonnement sans discontinu des voitures.
En face de moi, la deuxième partie de l’arrêt, qui dessert les lignes qui se dirigent vers le nord.
Au milieu, la route réservée aux autobus, divisée en deux par des plots et un petit muret, où il est interdit d’y mettre les pieds. Je suis coincé un peu comme un rat, dans un immense no man’s land, entre ciel, béton et vrombissements de moteurs. Rien ne bouge, le temps semble suspendu.
Même pas la présence de feuilles mortes qui rouleraient par terre.
La Twilight Zone, pour de vrai.
J’étudie les plans géants avec attention pour être sûr d’être sur le bon côté de la voie.
Dix minutes plus tard, un premier bus passe et amène un peu de vie à mon environnement mortifère. Malheureusement ce n’est pas le mien. Il faudra attendre dix minutes de plus dans ce vide temporel pour que mon bus apparaisse, me tirant hors de mes doutes, toujours plus nombreux au fil que les minutes s’accumulaient.
Metro Express Line 460, direction l’est sur l’autoroute 105 maintenant.
Avec un bus plein. Après un quart d’heure, une place se libère, et quelle erreur de l’avoir prise ! Le meilleur moyen de s’assoupir.
Il a dû s’écouler déjà 1h30 depuis que j’ai quitté Union Station.
Et j’en ai encore autant à faire avec cette correspondance. La route est monotone, et bien vite mes yeux se ferment. Je lutte comme un fou pour garder les yeux éveillés car je dois checker mon prochain arrêt, mais c’est extrêmement dur.
Je suis loin d’être le seul.
Les victimes de ces longues correspondances se comptent par dizaines. Ils se tiennent la tête, où se la plaque contre la vitre pour roupiller un peu. Sans oublier ceux qui s’assoupissent en baisant leur tête, et qui se réveillent ensuite en sursaut quelques secondes plus tard. Répétant la procédure tout le long du trajet, comme piégés dans une boucle.
Le soleil californien qui traverse les vitres n’aide pas, et au bout d’une heure je commence à grave somnoler.
Le bus sort de l’autoroute, et commence un tour des pâtés de maisons. Je me dis merde, stay alert, on doit plus être très loin. Mais la fatigue l’emportait encore souvent…
Heureusement, comme dans tous les bons films, alors que je somnolais j’entends le nom de mon stop.
Je me redresse alors comme un i et demande l’arrêt. Je mets de l’ordre dans tout mon barda avant de m’en emparer, toujours sous les yeux incrédules de certains passagers, et je descends du bus.
Je tombe alors sur une banlieue américaine des plus classiques avec construction en damier, mais je m’aperçois très vite qu’elle est très privilégiée. Ici je n’ai pas affaire au gris et à la crasse d’Inglewood, mais beaucoup de vert, de belles maisons et des infrastructures propres. Rien que le nom de la rue, Beach Blvd…
Pour autant je suis bien en galère car je ne vois aucun stop autour de moi.
Et pourtant il devrait en avoir un quelque part, celui de ma dernière correspondance. Toutes ces rues se ressemblent tellement qu’il serait vite fait de se perdre, surtout que je n’ai aucun repère. C’est cela qui est assez dingue dans ce trajet, c’est que je me dirige de point en point, mais je ne connais rien des alentours de ces points. C’est aussi excitant qu’effrayant.
Je me résous à demander mon chemin à un couple d’origine hispanique.
Assis sur le banc à côté de l’arrêt où je viens de descendre, ils auront du mal à me renseigner, malgré l’aide d’un journal locale. Bon ba c’est parti pour un peu d’exploration !
Cent mètres plus loin j’atteins le premier carrefour, et j’aperçois un arrêt, puis son jumeau de l’autre côté de la rue.
Petit sentiment de soulagement. Car ça a beau être un quartier aisé, ça reste un peu la zone ici, avec aucun commerce aux alentours. Donc pas l’idéal en cas de galère.
Au premier stop, le numéro de mon prochain bus est affiché.
Mais passe-t-il dans ce sens où en face ? Les noms des lignes ne correspondent pas vraiment avec ce que j’ai écrit sur mon calepin. Je me suis alors joué Les Experts durant une minute dans ma tête, faisant la synthèse entre toutes les informations dont j’avais à disposition.
Tout ça prend enfin un peu de sens, et j’en viens à conclure que je suis le mauvais côté.
Une fois arrivé au bon stop, j’y croise deux gamines blondes qui ont tout l’air d’être de bonne famille. Pour ne pas les déranger (ou leur faire peur), je me stationne à l’écart, sur le banc à proximité de l’arrêt.
Malgré cela c’est fou comme je me sens mal à l’aise, à sentir ou à m’inventer des regards de passants et d’automobilistes qui me surveillent. Je n’ai pas du tout le look pour trainer dans le coin ! Et encore moins à côté de deux petites filles.
J’embarque dans l’Octa bus 30, qui est très différent des précédents.
Normal, avec lui je quitte le réseau de Los Angeles pour entrer dans celui d’Orange County. Le logo Orange County Transportation Authority est plaqué partout. Je suis bel et bien dans un réseau local. Mon chemin de croix devrait bientôt se terminer.
Encore une bonne demie heure de trajet, des plus lassant là aussi car cette ligne de bus ne suit qu’une seule et même route, l’Orangethorpe Ave. C’est très monotone et je plains les chauffeurs derrière leur volant. Néanmoins ce petit tour confirme mon avis précédent, à savoir que je suis à des années-lumière de l’ambiance gangsta d’Inglewood. Ici c’est plus des rues énormes à 6 voies, des voitures bien classes et des bâtiments aux couleurs vives.
Imperial Hwy, voici mon arrêt final.
Et bien merde, plus de 3h de transport en commun, c’est limite plus usant qu’une journée de car. Et je suis encore loin d’être arrivé.
Je trouve mon chemin, mais j’en ai encore pour 10 minutes de marche au soleil.
Je commence ainsi à en avoir un peu plein le dos, mais je vois au loin la résidence de Leo, qui se trouve au 5815 La Palma Ave, alors je me motive. Après avoir longé un long mur, je tombe sur une entrée indiquant « Friendly Village ». Tout un programme…
J’entre dans un large couloir sur la gauche et 20 mètres plus loin l’accès est sécurisé par une barrière et des herses.
Mais qu’est-ce que c’est que cette blague encore ! Un genre de résidence hyper sécurisée pour gens fortunés ? Je n’en étais pas vraiment loin, mais j’y reviendrai une prochaine fois.
C’est donc non sans un certain plaisir que je cherche mon chemin en déambulant dans ce « village » fermé du monde extérieur où tout est neuf, sous les regards plus qu’intrigués de nombreux habitants. Ma dégaine mi routarde, mi sdf à cause de la couette que je transporte, aidant. Je longe une sorte de salle des fêtes privé, puis une piscine, et un parc de jeu remplis d’enfants, avec leurs parents qui ne me quittent pas du regard. Ryan Atwood, sort de ce corps !
Je commence cependant à moins rigoler lorsque, après plusieurs allers retours, je n’arrive toujours pas à trouver la bonne rue. Je demande à plusieurs habitants, mais personne n’arrive à me répondre.
Merde, c’est un comble, il ne fait quand même pas 50 kilomètres leur village !
Même pas 1km de circonférence. Et ils ne sont pas foutu de connaitre les dix pauvres rues du coin.
Je suis usé de faire les cents pas chargé comme je suis, le point de rupture est proche, mais en général en voyage, lorsque l’on a touché le fond, il y a toujours quelque chose qui arrive pour vous sauver. C’est alors qu’en marchant un papy m’appel depuis sa maison, et sort pour me rencontrer. Il m’avait repéré et avait déjà sorti le plan de la résidence. Une crème ce papy. Large sourire et généreux, à son contact je recharge un peu mes batteries.
Il m’aide ainsi à localiser la rue qui m’intéresse, mais quand je m’y rends, je m’aperçois vite que l’adresse que m’a donnée Leo est incomplète. Il me manque le numéro du baraquement. Génial. Super. Mon sac s’alourdit de 10kg.
C’est à ce moment-là que je me fais interpeller par le gardien du village, grand black fait pour ce métier.
Il me demande qui je recherche. Je lui précise que j’ai une adresse incomplète, et que je ne connais que le prénom de mon hôte, Leo. Evidemment, ça ne lui parle pas !
Bien bien, on avance…
Enfin non, plutôt on recule, car le gardien m’informe que je vais devoir quitter les lieux. Il me laisse une petite marge, mais le message est on ne peut plus clair.
It’s some kind of joke ?
Alors là tout traverse mon esprit : je suis tombé sur un canular, on m’a filé une adresse bidon, mon supposé hôte n’a jamais compté me loger, etc…
Je me prends 5 minutes pour souffler, avant de repartir en mission.
Il me faut éclaircir cette histoire au plus vite, car va trouver un hôtel dans les environs.
Je me rends au niveau de la salle des fêtes, où un anniversaire réunissant une grande famille a l’air de s’y produire.
Sur la terrasse, un jeune ado reste à l’écart, ayant l’air de bien s’ennuyer. Je lui demande si la résidence possède un wifi gratuit. Il me répond par la négative (!!!!!!). Mais il m’indique qu’un fast food en possède un, à un petit kilomètre vers la droite en prenant la sortie. Le gardien arrive et acquiesce. Il me souhaite bonne chance tout en s’assurant que je quitte bien les lieux.
Je retraverse les barrières franchies 20 minutes plus tôt.
La luminosité commence à décliner. Comme si j’avais besoin de cela. Au moment où je me rapproche du premier carrefour, je regarde négligemment une voiture et j’aperçois Leo me faisant des signes.
Mes bras m’en tombent.
Mais mes poings se retrouvent bien vite pointés vers le ciel, en signe de colère, après toute l’exaspération accumulée.
Quand j’y repense, l’ado m’aurait indiqué de prendre la gauche, je n’aurais jamais croisé Leo, et j’aurais encore perdu une bonne heure. Mais bon, mon quota de galère journalière devait déjà être atteint.
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