Under The Bridge – #16 – 2013
L’heure tourne et mon arrêt parait encore bien loin.
Après avoir pris une petite portion d’autoroute ( ! ), nous arrivons sur Inglewood. Et quel spectacle !
Les deux américains rencontrés durant le rideshare m’avaient prévenu que c’est le quartier craignos par excellence, et qu’il faut y faire super attention, et surtout ne pas sortir le soir.
Et je ne peux qu’acquiescer.
Oui, c’est la zone, pareille à ce que vous pouvez trouver dans des films comme Esprits Rebelles ou 187 Code Meurtre. C’est encore mieux décrit dans le long métrage Boyz N the Hood. Le hasard voulant que je découvre ce film quelques semaines plus tard à Las Vegas, et il se déroule exactement entre Inglewood et South Central. Il évoque la grande violence de ces deux quartiers sud de Los Angeles à la fin des années 80. Une sorte de La Haine sauce LA, très dur mais très instructif, qui vaut vraiment le coup d’œil.
Enfin bref avec tout ça je pense que le décor est bien planté !
C’est un ghetto noir, et les passagers du bus l’illustrent parfaitement. Ainsi 95 % d’entre eux sont des afro-américains. Ca ne m’avait pas choqué le premier jour, mais après plusieurs allers-retours avec le même ratio cela saute vite aux yeux.
La voix froide et digital du bus m’informe que le prochain arrêt sera Century Boulevard, je saute donc sur le bouton pour indiquer mon souhait de descendre. Je ne peux m’empêcher de me dire qu’actuellement tout est plus ou moins prémâché, et que l’on est bien aidé par toutes les indications de localisation présentes dans les bus modernes. Je n’ose imaginer ce que c’était il y a 20 ans de débarquer à Los Angeles ! Les routards avaient encore bien plus de mérite.
Le soleil diffuse sur le quartier une lumière jaune âpre, signe que le crépuscule est proche.
J’aurais finalement réussi à arriver de jour. Après la classique galère du « bon je suis sur la bonne rue mais dans quel sens je dois aller, bordel aucun des bâtiments qui la jonche n’affichent de numéro c’est quoi cette merde, je vais où moi bordel », je me dirige d’un pas décidé à mon hostel.
J’aperçois au loin une immense affiche genre panneau publicitaire, avec écrit en gras Los Angeles Backpackers Paradise Hostel, façon vieux motel miteux. Le panneau faisant aussi cheap que le nom de l’auberge…Mon auberge. Rien ne laissait présager de la suite.
Je rentre dans le bâtiment, un petit salon avec un très grand comptoir fait office de front desk.
Pas moins de trois employés y sont présents. De l’autre côté j’aperçois une piscine, tout un tas de chaises et de tables en plastique. Mini bar, jeux et musique d’ambiance pour finir le tout.
Bien bien…mais c’est quoi cet hostel de fou qui ressemble plus à un centre de loisir qu’autre chose ?
Le contraste avec l’ambiance craignos extérieure ne rend l’expérience que plus frappante.
Une fois que l’employé retrouve ma réservation, j’obtiens mon pass, ainsi qu’un bon pour obtenir une coupe de champagne gratuite. Mais que…mais quoi ? Los Angeles dans toute sa splendeur. Que j’aime ta folie !
Je galère comme pas possible pour trouver ma chambre, car plus qu’un hostel, c’est en fait un complexe hôtelier.
De part et d’autre de la piscine, des rangées de chambres d’hôtels sur deux niveaux. Pour les dortoirs de l’auberge, il faut suivre un chemin sur la droite, où des grands préfabriqués sont installés de manière un peu anarchique. Au minimum six je dirais. Avec chacun une petite table avec parasol devant leur entrée. Je rentre dans mon baraquement, bon effectivement comme attendu c’est industriel et loin d’être cosy !
Un grand espace comprenant une dizaine de lits superposés, les dizaines restantes dans les pièces adjacentes, qui n’ont ni porte ni mur. Le tout dans un chaos le plus totale, avec des fringues partout, digne d’une chambre d’étudiant. L’espace douche est à l’extrémité, avec un sol humide dû à une utilisation importante. Ce n’est pas la joie, mais pour quelques jours vu le prix, je ne rechigne pas.
Les nouveaux arrivants se succèdent.
L’hostel cohabite ainsi avec un hôtel, et ils partagent leurs offres et services : circuits touristiques, location de voiture, navette gratuite vers l’aéroport de LA, LAX. Ce dernier ne se trouve qu’à une petite trentaine de minutes à l’ouest. Ce complexe hôtelier est donc extrêmement bien placé, et sert beaucoup de point de chute aux personnes venant d’atterrir. Le hall est donc souvent le théâtre d’un chassé-croisé de vacanciers et de valises.
La nuit tombe, je sors manger un morceau dans un Burger King qui fait l’angle.
L’atmosphère n’est pas des plus safe dans la rue, mais elle n’est composé que de quelques commerces de quartier, en majorité tous déjà fermés. La zone serait résidentielle, ça serait une autre histoire.
Avant de me coucher, je tente péniblement d’envoyer un message à ma sœur histoire de confirmer que je suis toujours de ce monde, mais le wifi est vraiment merdique à l’auberge. J’y arrive après 15 minutes d’acharnement. Impossible alors de planifier un peu quelle sortie faire demain. Je prévois juste de filer vers le downtown après mon réveil.
Le lendemain, je me lève à 8h30.
Je fais mon sac en vitesse : appareil photo, Eee PC, guide, eau. Le petit déj est servi près de la piscine. Mauvaise surprise, je ne trouve rien à manger, juste du café est dispo. Pas un problème, j’en verse dans un gobelet en plastique et sort, toujours en vitesse, dans la rue direction le carrefour où le bus m’avait laissé la veille.
Mon estomac a beau être vide, les gorgées de café que je m’envoi font tout de même du bien.
Ca ne nourrit pas mais cela met en condition. Le ciel est bleu sans une trace de nuage. Je descends cette rue rectiligne dont je ne distingue pas la fin, et reste ébahi devant la largeur de la route, qui donne vraiment le sentiment que l’espace urbain n’a pas été conçu pour les piétons.
Arrivé au carrefour West Century Blvd / Hawthorne Blvd, l’arrêt n’indique pas la ligne 442.
Evidemment. Pourquoi faire simple.
Un bus passe, le 40, avec inscrit dessus Downtown LA.
Bon ça sonne plutôt bien ! Je monte.
Une heure de route pour atteindre le centre-ville, comme hier.
La traversée d’Inglewood est intéressante. Le quartier est laissé à l’abandon depuis de nombreuses années et semble être resté bloqué dans les années 80. Pour autant des traces de son glorieux passé sont disséminés ici et là. Je distingue ainsi l’impressionnante salle de sports The Forum (ou Great Western Forum), avec son architecture qui fait très Colisée. Elle a accueilli beaucoup de franchises, dont les Lakers de 1967 à 1999. Aujourd’hui il fait triste mine.
Tout comme le Los Angeles Memorial Sports un peu plus loin.
Une salle omnisport également, qui fut l’antre des Lakers cette fois de 1960 à 1967. Le bus passe aussi devant d’autres enceintes sportives utilisées lors des Jeux olympiques d’été de 1984. En déliquescence, elles témoignent toutes d’un autre temps. 1984, année du boycott de l’URSS. Je n’irais pas jusqu’à dire que l’on ressent l’univers de la Guerre Froide, mais il est sûr que l’on ressent que ces bâtiments font partis d’un autre temps, celui où les Etats-Unis étaient seuls sur l’échiquier mondial.
A l’entrée du downtown, la modernité arrive, avec la présence du Staples Center.
Salle ultra moderne, ouverte en 1999 et qui héberge quasiment toutes les franchises de la ville, du basket au hockey sur glace.
Je m’arrête un peu avant Union Station, sur North Los Angeles street.
Je me fais encore la même réflexion que plus tôt, à savoir que cet ensemble a vraiment été pensé pour la voiture et pas autre chose. Les routes sont toujours aussi larges, et encore mieux, je dois franchir un pont car en dessous de moi, que trouve-t-on ? Une autoroute. La 101, qui traverse LA d’ouest en est.
Une autre raison de ce sentiment de déshumanisation est le manque de relief, de lisibilité.
En effet, je descends cette rue, mais je ne croise que des bâtiments grands et fades, sans personnalisation et quasiment vierges.
Commerce, banque, parking ?
Impossible de savoir. Les piétons sont de plus très peu nombreux, l’effet no man’s land est ainsi encore plus renforcé. Les enseignes se comptent sur les doigts de la main. Elles sont éclatées géographiquement, ce qui accentue l’idée qu’il vous faut une voiture pour se rendre d’un point A à un point B. Car ce n’est pas jouable de devoir se taper une artère entière à pied toutes les cinq minutes !
Le manque de vie dans cette zone du downtown est donc assez palpable.
Je coupe alors à droite en direction de l’ouest. Les rues commencent déjà plus à ressembler à quelque chose. Je n’ai encore que peu marché mais le soleil commence déjà à bien me fatiguer.
Plus loin, je tombe sur une rue partiellement bloquée, avec un petit attroupement de personnes.
Sur la route, des sièges, des monitors, des caisses de câbles à n’en plus finir, des caméras, etc… Et pas moins d’une vingtaine de techniciens qui s’affairent à leur tâche avec énergie. Vous avez deviné, je suis tombé sur un tournage de film !
Je pensais bien que ça allait arriver un jour, mais quand même pas 30 minutes après mon arrivée.
Même si je savais qu’il y avait peu de chance pour qu’on me laisse filmer, j’ai essayé de faire quelques plans avec mon reflex, mais très vite un mec m’a accosté pour me demander si je faisais partie de l’équipe du film. Genre si je tournais le making of, ah ah !
J’étais content qu’il ait un micro doute !
Mon appareil a dû surement aider… Je n’ai pas voulu jouer la blague, car bon le tournage n’avait rien d’extraordinaire, j’ai donc répondu par la négative, et il m’a donc gentiment demandé de ranger mon 550D.
J’ai envie de dire que voilà, c’est ça Los Angeles !
Quasiment chaque jour j’ai eu droit à une surprise de ce genre. Le genre à vous faire votre journée.
Quelques blocks plus loin, je tombe sur Historic Core, le vieux Los Angeles.
Ce fut le centre-ville avant la 2ème guerre mondiale. Ensuite la ville a évolué différemment. Son expansion fut tellement grande qu’Historic Core, comme le reste du downtown (qui est très petit à l’échelle du grand LA), fut laissé à l’abandon. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que la ville tente de redynamiser son downtown. Ce qui peut paraitre paradoxal, mais qui illustre bien sa singularité.
Historic Core est resté authentique et possède un charme certain.
Le quartier n’a pas l’air d’avoir bougé depuis les années 30, avec des buildings identiques à ce que l’on peut trouver à New York. C’est assez frappant. On se croirait vraiment dans le vieux Manhattan, mais avec le soleil et la chaleur étouffante de Los Angeles.
En bas des tours, un grand bazar de magasins tenus par des hispaniques.
Sans exception. De l’horlogerie, des fournitures, des babioles. Le long des trottoirs on peut même tomber sur des kiosques, tenus par des femmes (hispaniques). En plus des classiques journaux et magazines X, le tout en langue espagnole, leur particularité se porte sur des revus très trashs. Il n’est en effet pas rare de voir en une de certaines des personnes égorgées trempant dans leur mare de sang…
Beaucoup de théâtres et autres salles de spectacles d’époque sont présents dans ce quartier, ce qui rajoute encore un peu plus un vernis rétro à cet endroit. Au niveau de 6th & Spring, je m’arrête dans un Starbucks pour me poser et m’octroyer une session internet. Car une chose est sûre, c’est que j’ai une réelle envie de rester quelques temps dans cette ville ! Le sentiment de la veille ne s’est pas démenti durant la journée, je suis toujours sous le charme, toujours intrigué, et je souhaite vraiment avoir la possibilité d’explorer LA au maximum.
Mais pour cela, il faut absolument que je trouve du couchsurfing ou tout autre système pour être hébergé gratuitement.
En effet, ma trésorerie a pris une sacrée claque après mon séjour à Yosemite. En particulier avec le partage de l’essence SF/Yosemite Yosemite/SF. Je peux rester encore à tout casser 15 jours en hostel, or j’ai encore 15 jours supplémentaires à tenir avant de rentrer en France. Autant vous dire que j’avais une bonne pression sur les épaules.
J’envoie donc de manière massive des demandes sur couchsurfing.
Puis à tout hasard, je me connecte sur mon compte HelpX pour vérifier si de nouveaux hôtes se sont inscrits sur Los Angeles. HelpX c’est le site par où j’étais passé pour faire du wwoofing.
J’avais vérifié un peu avant de partir sur LA, mais il y avait peu de contact, et quasiment tous n’étaient plus actifs depuis longtemps. J’avais donc peu d’espoir en me connectant de nouveau, mais j’ai eu la bonne surprise d’apercevoir plusieurs nouveaux hôtes ! Chose improbable en un intervalle d’une semaine. Je réponds à deux annonces qui proposent un peu de bénévolat en échange du gite et du couvert, et croise les doigts.
Je bouge ensuite en milieu d’après-midi pour retourner à Union Station et reprendre un bus pour Inglewood.
J’aimerais bien rester encore un peu, mais après mon séjour à Yosemite, je me dois de laver mes fringues ! C’est reparti pour une heure de trajet. C’est évidemment long, mais vu l’état de mes finances je ne fais pas le difficile. Le ticket de bus n’est que de $2, donc même rajouté au prix de ma chambre, cela reste toujours moins élevé qu’une nuit à proximité du downtown. Il faut juste bien remplir sa journée pour ne pas avoir d’allers retours à effectuer…
De retour à l’hostel, je fais un rapide repérage des commerces à proximité, et c’est assez fou de constater qu’il n’y a que des fast foods ou des convenience stores. Ces derniers n’offrant rien de plus que le ferait un magasin sur une aire d’autoroute française. Donc pas de produits frais. Pas de viandes.
En comestible vous n’avez en gros que des chips et des boissons hyper sucrées si vous avez soif.
Encore une fois la voiture est indispensable. D’où une certaine double peine pour les populations fragilisées, qui doivent galérer pour accéder à de la nourriture saine.
J’ai appris plus tard que ces zones sans produits frais avaient un nom, les Food Deserts.
Des déserts alimentaires en pleine ville, avec des périmètres de plusieurs kilomètres sans trouver de vrai store. C’est une particularité bien étrange, et qui explique encore un peu plus les mauvaises habitudes alimentaires des américains, ainsi que le succès de la malbouffe aux US.
Dans mon hostel autour de la piscine, toujours le même parfum de vacance.
Mon dortoir est toujours autant apocalyptique, avec les linges des uns éparpillés par terre, les grosses valises disposées un peu partout qui portent encore l’étiquette LAX, et les quelques personnes qui se remettent du jet lag en roupillant. Un bien beau chaos !
La nuit tombée, restriction budgétaire, je ne « mange » qu’un paquet de ramen encore sec.
Pas de cuisine pour les plonger dans de l’eau bouillante. C’est une technique que j’ai prise de Pauline, elle-même la tenant d’une Australienne rencontrée en route. Pour une poignée de dollars vous pouvez vous acheter des ramens en sachet, et les manger direct. C’est un peu sec mais en coupe-faim cela marche plutôt bien.
Le soir, la température est toujours assez élevée.
Changement de climat à comparer à San Francisco ! Cela rajoute à l’atmosphère si particulière que je ressens depuis mon arrivée. Peut-être que cette sensation est aussi dû à la fin proche de mon voyage.
Je baroude depuis un mois maintenant sur cette côte ouest.
Avec cette chaleur toute particulière à Los Angeles, je mesure le chemin parcouru depuis Seattle.
J’ai vraiment traversé toute cette foutu côte.
Je me retrouve maintenant en fin de trip, dans un bouillon de moiteur, où le chaos de l’hostel fait écho à celui du ciel.
Les avions en procédure de descente se succèdent toutes les 30 secondes à quelques kilomètres. Au milieu de ce désordre étouffant, je regarde ce spectacle avec amusement, et je suis pressé de savoir ce que me réserve la journée de demain.
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