Bush, Suck & Sun
Le temps maussade, avec un peu de crachin venu du ciel, je m’empresse de m’installer dans ma caravane.
Grande et toute équipée, elle fait vraiment plus office de chambre annexe que de cage à lapin.
Une fois mes sacs déposés, je suis Martin qui me conduit à l’intérieur de la spacieuse maison.
Ici, je fais connaissance avec Donna, sa compagne, et personne avec qui j’étais en contact avant de venir.
Australienne dans sa quarantaine, les cheveux blond mi longs, elle sait tout de suite mettre à l’aise. Son léger embonpoint ne cache que mieux une boule d’énergie. Je le découvrirais juste après, car une fois les présentations faites, elle me fait le tour du propriétaire, d’une façon hyper minutieuse et clinique, en particulier au niveau de la cuisine.
Après l’exigu et sombre cuisine de Keith, je suis à la limite de baver devant cette grande cuisine moderne toute équipée. Je me régale d’avance de tous les petits plats que je pourrais faire ici, avant d’être refroidi en apprenant qu’ils limitent au maximum leur consommation en sucre. Car c’est le maaaal et cela vous tue ! Elle me précise ainsi qu’ils sont tes écolos responsable, ce qui signifie que le tri des déchets est drastique, et la consommation d’électricité très surveillée.
Possédant des panneaux solaires sur leur toit, un large compteur numérique affiche, à l’aide de petites diodes, la production et la consommation d’énergie. La première règle sera donc de ne jamais utiliser la bouilloire plus que pour une tasse, car c’est l’appareil qui consomme le plus. Plus que les plaques de cuisson, plus que le four. J’ai ainsi eu le droit a une démo, pour voir qu’effectivement le compteur s’affole une fois que ce petit outil, une vulgaire bouilloire (!), est mis en marche.
L’expression a beau être éculée, aucun doute possible, mes hôtes sont bourgeois-bohème.
Le diner se déroule à l’heure australienne, sur les coups de 18h, nous y arrivons donc assez vite.
Lumière tamisée, tapis anciens, bibliothèque fournie, plaids en pagaille, grande table en bois dans le salon, avec un mobilier et des fournitures rétro chic très pensés, donnant une atmosphère de cocooning immédiat.
La préparation du repas s’effectuant à tour de rôle, ce soir je n’ai rien à faire.
On me remplit vite un verre de vin pour m’occuper.
Cette première soirée fut cordiale et chaleureuse. Donna ayant eu une vie riche en voyage, la conversation est aisée. A plus forte raison qu’elle s’est déjà rendu en France, en mode backpack en pleine coupe de monde 1998. Autant dire que la folie que l’on a connu durant cet été là l’a profondément marqué.
De retour dans ma caravane, une pluie battante commence à tomber. Une pluie qui s’abat sur le toit métallique de ma chambre mobile, et qui fait par conséquent un bruit pas possible. Je me sens abattu, inutile, devant passer la nuit dans un endroit où ma condition me l’interdit.
La nuit sera des plus fraiche. La composition du lit aurait dû m’interpeller : draps, 2 couvertures et un immense édredon pour recouvrir tout cela. Et bien ça ne sera pas de trop !
Les nuits suivantes seront toutes aussi rigoureuses, à se demander si je me trouvais bien en Australie, au printemps qui plus est. Ca en deviendra un running gag avec mes hôtes, eux me répondant à chacune de mes complaintes que je devrais profiter de cette fraicheur, car bientôt l’été sera là, amenant sa chaleur infernale.
Le lendemain matin, 8h, il est bien dur de se motiver pour sortir du lit douillet. Dans cette caravane encore glaciale, je m’habille en 20 secondes, et en sors pour prendre un café dans la maison. Le soleil est revenu, c’est déjà cela.
En complément de ma boisson de caféine, j’ai l’embarra du choix. Mes hôtes ayant une connaissance qui travail dans une boulangerie, ils récupèrent tous les invendus, mais à eux 2 impossible de liquider le stock, qui au final s’agrandi de semaine en semaine. Je les aide donc dans cette tache.
Martin, avec un ton toujours aussi doux et monotone, m’invite à le suivre pour me montrer le job que j’aurais à faire les 4 heures suivantes. Je vais travailler du bois !
Pour expliquer brièvement leur envie, Martin me fait le tour du propriétaire une nouvelle fois. Ils ont créé un lieu de relaxation et de méditation, comprenant une grande salle toute proche de la maison, servant de lieu de réunion. Derrière ce bâtiment, se trouve un « labyrinthe spirituel », où les gens s’en servent comme outil de méditation. Tout le complexe s’appelant le Bush Labyrinth Bush Retreat.
Ils commencent tout juste à en faire la promotion, et ils ont toujours de nouvelles idées pour améliorer l’agencement, le mobilier. Aujourd’hui ils aimeraient, le long d’un des murs de la salle de réunion, créer une une petite bordure composée de rondins de bois agglutinés les uns aux autres.
C’est là que mes petites mains interviennent !
Ils ont le bois, à moi d’en retirer l’écorce, et d’ensuite de polir la partie visible du rondin.
Mais pas de soucis, j’ai fait cela toute ma vie !
Le projet m’intéresse, mais moi sortie de l’utilisation d’un tournevis, je suis, comment dire…incapable ? Mais le challenge est motivant, c’est toujours mieux que de récurer des chiottes.
Devant un petit baraquement constitué de tôles branlantes, à l’écart de la maison, je m’affaire à ma tâche. Dans un soleil qui devient presque étouffant. La blague, après cette nuit polaire.
Je retire l’écorce des rondins à l’aide d’un tournevis et d’un marteau. De façon assez superficielle, je choperais le coup le lendemain pour avoir un résultat parfait.
La partie ardue arrive après en fait.
Le ponçage !
Cela aurait pu être plutôt aisé. Disposant d’une ponceuse électrique, c’est tout à fait faisable, encore faut il faire bien attention au niveau des contours, pour ne pas créer de déformations. Le résultat est plutôt sympa, mais Martin venant d’acheter une nouvelle machine, il voudrait l’utiliser, car elle remplirait un job encore meilleur.
Et c’est effectivement le cas, car cette nouvelle machine ne ponce pas, elle coupe une fine tranche de bois, ce qui enlève toutes les imperfections, en laissant une surface hyper lisse. Mais il y a un hic.
C’est qu’avec cette machine il faut faire 2 passages par rondins pour recouvrir toute la surface, mais même avec toutes les précautions du monde, arriver à faire 2 passages de même niveau, sans qu’il n’y ait de différence visible de niveau, est très très hard.
De plus, même sur la partie travaillée, la lame a tendance à laisser une petite rayure des plus disgracieuses.
Des plus rageant car tout le reste est uniforme et donne un rendu très propre.
J’informe Martin des difficultés que j’éprouve avec cet outil, et lui de la tester devant moi. Fort heureusement, il galère de la même façon. Il faut dire qu’il a beau faire beaucoup de jardinage et de travaux, il n’est pas plus manuel que moi. Pour chaque idée qu’il a en tête, il regarde simplement une vidéo tutoriel sur youtube pour s’aider. Il est fou de constater l’ampleur de la pénétration de ce média dans nos vies et pour toutes les tranches d’âges.
Martin pense qu’une lame est cassée, ce qui causerait les rayures. Il décide alors de prendre la machine pour la rapporter au magasin, devant se rendre au travail aujourd’hui.
Car oui, il travail encore. Sa famille possède une grande entreprise en Allemagne, et ce dernier gère en quelque sorte la filiale australienne. Les gros chèques rentrent donc toujours, mais s’il le pourrait il passerait ses journées à jardiner et à s’occuper des multiples projets que le couple a en tête pour leur propriété.
Il est ainsi amusant de voir ce VRP allemand, gringalet, à l’accent si doux et désopilant, revêtir les habits de paysans. Avec son chapeau de paille, son sécateur et sa salopette bleu, on pourrait presque penser à un ancien nazi tentant une vie simple, de repentance ou simplement pour échapper à la justice.
Bien évidemment je plaisante.
De toute façon nous sommes en Australie, pas en Argentine. Et surtout, bien qu’âgée, sa naissance a eu lieu après 1945. On ne participe pas à une guerre en couche culotte.
Mais néanmoins, cette guerre plane toujours au dessus de nos têtes, et peut toujours être source de malaise. Ainsi quelques jours plus tard, lors d’un diner, j’en viens à évoquer plus précisément l’endroit de France d’où je viens. Je mentionne la Normandie, puis Le Havre, et à l’écoute du nom de cette ville, Martin nous apprends que son père l’a bien connu.
Ce souvenir de son paternel qui remonte dans sa mémoire illuminerait presque le visage de mon hôte. Mais dans les secondes qui suivent, son visage se ferme, et il explique succinctement et piteusement que son père était en fait stationné au Havre durant la dernière guerre.
Il se sentait mal vis à vis de moi, mais moi je me sentais mal vis à vis de lui, car je n’ai pas à en lui vouloir et ce n’est pas un problème pour moi. Mais du coup voilà, un ange passe puis nous embrayerons sur autre chose.
La machine étant au magasin, je suis au chômage, mais Donna me donnera la piscine à laver pour finir mes heures. Et quelle plaie ! La piscine fait un bon 20m2, et sous le cagnard je dois lui récurer les bords intérieurs à l’aide d’un balai télescopique. C’est marrant 5 minutes mais après bonjour les bras, il faut lutter !
Ce projet bois m’occupera une bonne partie de la semaine.
Je passe mes après midi à me détendre, et à nourrir un oiseau à la main sous la véranda. Ce dernier ayant été habitué par Donna. Les oiseaux ne manquent pas ici, ça piaille beaucoup, et croiser un Loriquet à tête bleue ou un cacatoès à crête deviendrait presque banal.
La blondeur angélique de Donna ne cache que mieux sa poigne de fer et sa force intérieure.
Cette certaine fermeté avec les autres n’a rien d’étonnant lorsque l’on connait un peu son parcours.
Diplômé à l’Université de Sydney puis journaliste pour la presse écrite, sa vie prendra une nouvelle tournure en 2003. La nouvelle guerre en Irak est lancée, et son opposition à ce conflit est si forte qu’elle décidera de rejoindre The Human Shield Mission, et ainsi de devenir bouclier humain pour protéger les infrastructures civiles du bombardement américain.
Elle y retournera plus tard faire de l’humanitaire, et en rentrant définitivement en Australie, couchera sur papier son expérience. Elle continue d’ailleurs toujours à écrire des livres, sa carrière de journaliste étant mise de côté.
Ainsi, son tempérament cordial s’associe à une certaine rudesse dans le ton. Rudesse qui commença au fur et a mesure à me courir sur le haricot. J’apprendrais par la manière forte ce qu’est de la « mulch » en Australie. A savoir un compost naturel composé de feuilles et de bois morts. A prononcer « moo che ». J’ai eu le malheur d’avoir compris autre chose, et au bout de 5 minutes de légère incompréhension, j’aurais droit à cette remarque cinglante : « you don’t know what is a mulch, do you ? Why don’t you ask me, because I used this word a lot the last past 5 minutes, so it means you didn’t get anything ». Il manquait juste un « you wasting my time » pour finaliser la chose, mais il n’est pas venu.
Le mulch est laissé dans un coin du jardin, formant un immense dépôt en forme pyramidale. De près, cela ressemble à une pile de très fin copeaux de bois. Je devrais ainsi faire plusieurs allers-retours avec une brouette pour recouvrir une parcelle vierge d’environ 40m2 avec ledit mulch.
Ce dernier a plusieurs avantages, comme un côté esthétique certain, tout en empêchant la repousse des mauvaises herbes.
Apres y avoir consacré bien 2 petites heures, c’est l’heure du lunch.
Je suis seul dans la maison, mes hôtes se trouvant « en ville » pour une réunion.
Une fois mon sandwich enfilé, je me lance dans la vaisselle, et c’est à ce moment là que je remarque une drôle de bête au milieu du parquet de la cuisine.
De couleur sombre, on pourrait penser à une limace, ayant un peu près le même gabarit et le même aspect visqueux. Mais à y regarder de plus près, cela n’a rien d’une limace. Sa démarche est des plus singulière. Une fine trompe, sur la partie avant de « la bête », sert de ventouse, en s’agrippant au sol, le temps de faire avancer la partie bien dodue arrière. Cette chose m’intrigue tellement que je la prends même en photo.
Puis, à l’aide d’une feuille de papier, non sans mal, je la transporte dans le jardin.
Je ne savais pas encore à cet instant que j’avais laissé la vie sauve à une saleté de parasite !
En effet, je décide par la suite de faire un footing. Je vais pour me changer dans ma caravane, et en retirant mon pantalon je m’aperçois que ma chaussette droite et gorgée de sang. What the fuck ?!
Je la retire, et remarque que le sang s’écoule de 2 petites plaies.
Et il coule encore abondamment.
Mon cerveau ne mettra pas trop de temps à faire le rapprochement avec la rencontre que j’ai eu dans la cuisine un peu plus tôt. C’était donc une saleté de sangsue ! Je n’avais aucune idée que cela trainait dans le coin. Je revois maintenant son corps bien dodu autrement. Elle c’est bien gavé !
J’imagine qu’elle devait se trouver autour du tas de mulch. Mais je reste circonspect sur son trajet. Je portais un jean plutôt serré, donc il faut quand même le faire pour réussir à passer en dessous, puis à remonter ma chaussette. Sachant que la morsure s’est effectuée 1 millimètre après la marque de ma chaussette. La bestiole n’a pas cherché à voir plus loin, au premier bout de peau, bim.
Les sangsues injectants de l’anticoagulant, les plaies saignent abondamment. Pour moi cela durera tout le reste de la journée, mes pansements et bandages précaires étant très vite dépassés. A la surprise de Donna, car elle m’indique que généralement le saignement s’arrête au bout d’une heure maximum.
Je passerai ainsi la fin d’après midi avec ma jambe surélevée pour limiter l’écoulement sanguin. Avant de me coucher, les 2 pieds au sol, je remarque qu’il repart comme en 40, j’en inverti alors mes hôtes, et Donna laisse Martin me faire un bandage, ayant lui suivi des cours de secourisme. Et effectivement, il me ligote la plaie bien comme il faut ! Aucune chance après cela de me réveiller dans des draps souillés de mes premières menstruations d’homme.
Ah je vous jure, c’est fou. Avant de partir on vous met en garde sur tout : serpents, araignées, requins, crocodiles, etc… Mais absolument jamais je n’ai pu entendre ou lire quelque chose sur la présence de sangsues en Australie ! J’en tiens note, il faudra donc faire attention, surtout qu’une prochaine rencontre avec cette bête me servira de piqure de rappel définitive…
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