Blaxland Requiem
Les journées passent sur Blaxland, et une petite routine commence déjà à s’installer.
Un réveil à 9h, suivi d’une descente approximative de l’escalier pour rejoindre la cuisine, pour finalement atteindre un café, histoire de se remettre les idées en place.
Le premier levé ayant la tache de faire ledit café. Le plus souvent, Keith s’en charge. Mais quelques fois, la porte coulissante qui sépare la cuisine du salon est fermée, signe que in the other side, ça dort encore.
Car oui, Keith dort dans son salon.
Le matelas qu’il emporte partout dans son van est si confortable qu’il le préfère à son lit présent dans sa chambre à l’étage. Il l’utilise donc également chez lui, disposé sur une banquette accoudée à la fenêtre de son petit salon d’une dizaine de m2.
D’une main, le café se déguste sur le canapé, devant la télévision branchée sur la chaine 24, Abc News. Dans l’autre main, une tranche de pain de mie tartinée avec de la confiture, ou si vous avez de la chance, du nutella. Cette dernière ressource (vitale) partant très, très vite, même avec plusieurs pots d’avances. La confiture beaucoup moins. C’est plus ma propriété que celle de Keith, car comme tout Australien, il n’en raffole pas spécialement. Mais avec les nombreux français qu’il a hébergé par le passé, il a pu remarquer que la confiture, « that’s your jam, you french people ! ». Vous trouverez toujours ainsi un pot dans le frigo…
Sur les coups de 10h, je décolle avec mon sac sur le dos pour arriver à l’ouverture de la librairie. Cette dernière est distante de seulement 5 minutes à pied, et c’est surtout de toute façon mon seul point d’accès à internet. La connexion y est rapide, mais votre session wifi est limitée à 2h par jour. Ca peut sembler beaucoup, mais lorsque vous faites des recherches d’emplois, d’hôtes, ou encore d’informations touristiques, couplées à la gestion d’un blog, ça part très très vite.
Le midi, je me cuisine un petit lunch, avant d’attaquer ma journée de travail.
Enfin journée, mes heures.
Enfin mes heures…parfois une suffi.
L’Helpx en général cela tourne autour de 4h par jour d’aide pour le gite et le couvert. N’ayant pas des masses de corvées à proposer, Keith nous limite à beaucoup moins. Un jour j’ai eu à laver entièrement le frigo, qui après des mois de non utilisation était des plus sales. Un autre jour, la salle de bain, un autre encore, du désherbage sur la terrasse.
Le reste de l’après midi, soit je vagabondais un peu dans Blaxland, soit je restais pour écrire ou faire un peu de montage vidéo.
Le soir venu, je prend possession de la cuisine. J’ai bien remarqué les premiers soirs que malgré les heures passantes, il ne fallait pas trop compter sur lui pour se charger de ce domaine. Vu le peu de travail que j’effectue pour lui, je me sens obligé dans un sens de m’en charger.
De plus, c’est une tâche qui tend beaucoup plus vers le plaisir que vers la corvée pour ma part. J’ai toujours aimé cuisiner, mais depuis mes 4 mois en boulangerie l’hiver dernier en station à Tignes, ma palette technique a augmenté, et mon goût pour ce domaine ne s’en trouve que décuplé.
Tous les soirs, c’est donc festival. Avec ce que je trouve dans le frigo, mêlé à mon inventivité et surtout à ma french touch (qui fait que je saurais toujours mieux mélanger les saveurs que l’australien moyen élevé au sandwich), j’arrive à enchanter mon hôte. Les compliments envers ma cuisine fusent chaque soir.
Les jours passant, l’un comme l’autre nous commençons à mieux nous cerner. On se délivre un peu plus, chaque après midi ou chaque soir, devant la télévision. Enfin beaucoup plus lui je dois bien l’avouer. Moi je tend volontiers l’oreille à cet aussie guy à la charpente imposante et à la barbe de 3 jours immaculée.
Sa vie est des plus singulière et ainsi des plus intéressante. Je devrais plutôt dire « ses vies », car le bonhomme a enchainé tellement de métiers au cours de son existence. C’est simple, quasiment à chaque conversation que j’avais avec lui, j’apprenais son passé dans telle branche d’activité. Vers la fin j’en souriais d’avance, tellement cette récurrence devenais comique. Un peu à la manière d’Amérique Pie et de son interminable rengaine « remember that one time at band camp ».
Petit florilège, sans ordre particulier : livreur de journaux, livreur de lait durant son enfance, policier, cuisinier, pilote moto, mécano, staff dans un centre d’activité de jeunesse, etc, etc… La liste est loin d’être exhaustive.
Alors évidemment avec une palette de métiers et donc d’aventures aussi large, beaucoup de choses dans une journée peux faire écho à une anecdote.
On ne s’ennuie donc guère avec Keith. Il a beau avoir un début de cinquantaine, dans son esprit il est aussi déglingué que nous tous. Un humour gras, roi de l’absurde, franc et entier, et en cela il ne pourra pas plaire à tout le monde.
S’apercevant que je suis ouvert d’esprit et aussi déglingué que lui s’il le faut, il m’offre au fur et à mesure sa vraie personnalité et son vraie visage. Un visage qu’il masque auprès de personnes plus sensibles ou plus conservatrices, comme des helpers asiatiques par exemple.
Bon vivant, sa vie n’est pourtant pas des plus simple. Marié une semaine (!), la cigarette et peut être aussi d’autres substances ont eu raison de sa santé. Ses poumons sont bien abimés pour ne pas dire plus, ainsi que d’autres organes. Le matin il doit avaler une pharmacie entière.
Il me dit clairement que l’avenir n’est pas des plus positif, et que le temps va lui manquer. Cela doit jouer beaucoup sur son jusqu’au boutisme sur beaucoup de sujets, poussé jusqu’à un nihilisme assumé. La vie est une farce, et quoi de mieux que d’être adepte de la religion Flying Spaghetti Monster pour le prouver ?
Bref, le bonhomme est tout sauf lisse, c’est ce qui le rend attachant, pour toute personne sachant comment le prendre.
Blaxland, à contrario, n’est pas des plus excitant.
Ni ville, ni village, cela en fait un endroit assez bâtard, une sorte de cité dortoir. La rectiligne voie ferret transperce le patelin en son centre. Cette dernière est bordée par une route, qui fait office de rue commerçante. Rien de très folichons mais tous les services et commerces y sont présents.
Le principal intérêt réside dans les rues environnantes, où certaines anciennes bâtisses s’y cachent. Des vestiges du passé et des premiers colons européens. Comme sur Hope St où l’on peut trouver des maisons classées pour leur héritage historique.
Blaxland vaut donc surtout pour sa localisation, un pied à terre pour explorer la région des Blue Mountains. Seulement sans voiture cela me parait un peu compliqué, et n’ayant pas un internet illimité pour m’informer, je ne peux pas me rendre compte à ce moment là que la ligne ferroviaire dessert les principaux sites.
Bien qu’appréciant la compagnie de Keith, celle d’autres helpers pourrait être sympathique me dis-je, histoire de pouvoir explorer un peu la région, ou simplement apprécier la compagnie d’autres backpackers.
Une semaine après mon arrivée, mon voeux est exaucé. Keith m’informant qu’il a reçu une demande de 2 français. Aaarf ! Bon j’aurais préféré plus exotique mais je n’ai pas vraiment le luxe du choix.
Quelques jours plus tard, en rentrant un midi de ma session internet, je ne trouve pas 2, mais finalement 3 français. Trois amis du sud, comprenant un couple. Ayant peur d’essuyer un refus à leur demande d’hébergement s’ils s’annonçaient voyager à 3, ils ont préféré pratiquer le mensonge et de tenter l’esbroufe. Le couple aura la grande chambre, et j’aurais à partager la mienne avec le voyageur restant.
Le premier contact est d’une froideur abyssale.
Tous assis autour de la table extérieur, la cigarette comme refuge. Je m’installe dans la ronde, Keith m’introduit comme le cook du groupe. Je commence alors un peu à déconner avec lui, mais je m’aperçois que cela ne suis pas beaucoup derrière. Silence de plomb, dû autant à un je-m’en-foutisme qu’au fait que leur niveau d’anglais est très léger.
Celui partageant ma chambre venant tout juste d’arriver en Australie, je peux comprendre. Mais pour le couple, j’ai déjà plus de mal, apprenant plus tard qu’ils ont déjà voyagé un an Down Under. Le mec arrive à se débrouiller, mais la fille est le plus souvent larguée.
Cette dernière, cheveux roux mi longs avec quelques tâches de rousseurs, possède des yeux clairs perçants, leur éclat n’ayant d’égal que leur perdition. Un visage de poupée mais un regard toujours perdu, baigné entre mélancolie et doute.
Son amoureux, à l’opposé, est un homme d’action, un homme de prise de décisions. Le teint très mâte dû à cette première année australienne, il s’invente un style mi bohème mi hippie, dont ses cheveux longs avec de timides dreadlocks tous juste en constructions en sont la marque.
Mon colocataire lui tranche avec les 2 autres : style urbain classique avec sweat de marque, pantalon slim et cheveux courts entretenus. Cinquième roue du carrosse, où l’on pourrait par moment également faire rentrer son amie dans cette catégorie, tellement l’homme aux décisions monopolise le pouvoir dans le trio.
Une hiérarchie stricte qui fait mal aux yeux. Une envie de secouer le cocotier des 2 autres tellement ils peuvent se montrer passif et dans la soumission.
Il est donc amusant de noter que les premiers jours, j’aurais beaucoup plus à faire au chef de meute, ce dernier servant de lien entre le monde extérieur et leur cercle. Toujours force de proposition, et toujours la personne sur qui on se tourne. L’exemple le plus frappant restant pour moi lors d’un essai d’une voiture. Le boss aura beau leur demander à la fin de sa conduite, « vous voulez rouler aussi un peu ? », la réponse en coeur fut « non non, on te fait confiance ».
Bref, ce trio ne m’emballe pas spécialement. Et à plus forte raison que de nombreux silences émaillent leurs réunions. On sent un certain malaise général par moment, entrecoupé de trop rares francs moments de rigolades.
Le soir de leur arrivé, durant le temps qu’ils conversent avec Keith sur la terrasse, je m’éclipse pour préparer le repas. Encore une fois j’ouvre le frigo et j’improvise avec ce que j’y trouve. Je me lance dans la préparation de potatos aux herbes maison, avec en viande du boeuf haché mijoté dans une sauce mi sauce tomate, mi sauce bbq, mélangé avec des carottes et des aubergines déjà passés à la poêle à l’aide de soy sauce.
La nuit est tombée à l’extérieur, et c’est à ce moment précis que quelqu’un entre dans la cuisine dans mon dos, et pousse un cri pour me faire sursauter. Avec succès.
Je me retourne en direction des éclats de rires, et je fais ainsi connaissance avec Naomi. Voisin et ami de Keith, c’est un sacré personnage également.
Dans les mêmes âges que Keith, mais avec une taille bien plus modeste. Peu de cheveux sur la tête, mais une moustache et surtout une longue barbichette fournie, d’une blancheur qui trahie son âge. Du fait de son physique de jockey et aussi de son prénom, on le surnommera assez vite « le japonais ». Sa longue barbe le faisant aisément passer pour n’importe quel Sensei tiré d’un manga.
Les joues déjà rouge, il a commencé la fête sans nous. Le monsieur est déjà rond, mais il a plutôt l’alcool joyeux. Blagues graveleuses à souhait, il éclate de rire toutes les 30 secondes. Il n’arrive pas les mains vide. Coïncidence du moment, il nous a rapporté du vin rouge français.
Quoiqu’il puisse en dire, ce n’est pas le meilleur pinard que j’ai pu boire, mais un ptit verre c’est un ptit verre.
Notre joyeux luron s’en ira assez vite. Les joues toujours aussi rouge, avec les yeux un peu explosés. Ca m’éclatera toujours des quinqua entrain de s’envoyer un petit joint. Dès que je pense à joint, je pense à lycée, ce décalage dans mon esprit explique mon sourire.
Notre petit lutin est parti, mais on recroisera ce volubile personnage incessamment sous peu…
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